V. Le Nombre de Listes/Candidatures souhaitables
Maintenant qu’on a traité la différence entre :
- le fait d’avoir pour un scrutin une offre électorale riche, variée et nombreuse (ce qu’on veut obtenir, au moins dans une quantité suffisante),
- et le fait que pour un même résultat électoral cumulé, un mode de scrutin peut donner davantage de MP si vous déposez plusieurs listes, et donc favorise une multiplication artificielle du nombre de listes (ce qu’on veut empêcher),
on va pouvoir se pencher sur ce qui peut faire qu’on puisse vouloir réellement éviter une multiplication de listes, de « vraies » listes (dans l’expression « 2 faux ne font pas 1 vrai »).
Du point de vue de l’électeur :
- En tant qu’électeur dans une élection présidentielle ou un référendum au jugement majoritaire, j’ai besoin de me renseigner sur tous les candidats (propositions alternatives pour le référendum), car je vais avoir à chacun les juger, et cela me prend un temps/énergie non négligeable. Limiter l’offre totale à ces scrutins a donc un sens du point de vue de l’électeur.
- En tant qu’électeur dans une élection d’assemblée à une forme de jugement (quelle qu’elle soit, incluant le vote de valeurs mais excluant le vote cumulatif), c’est toujours un mode de scrutin par jugement donc même logique même réponse. Cependant il y a 2 différences : déjà étant donné que le nombre de postes en jeu est beaucoup plus élevé, on devrait à s’attendre à davantage de candidatures (si aujourd’hui en France on constate que certains n’essayent de se présenter qu’à la présidentielle, c’est en raison de la très forte médiatisation que celle-ci donne contrairement aux autres élections, cela peut se changer d’une part par un rééquilibrage des pouvoirs entre la présidence et les autres élections, comme on le voit dans certains pays et d’autre part par un changement du calendrier électoral : aujourd’hui les législatives sont dans la foulée de la présidentielle avec seulement quelques semaines entre les deux), et d’autre part il n’y a qu’1 président (contrairement à une assemblée composée de nombreux MP) ou qu’1 seule législation nationale à un référendum, donc encore une fois, il/elle s’appliquera à vous que vous le vouliez ou non
- En tant qu’électeur dans une élection d’assemblée avec un système proportionnel (avec listes ouvertes ou non, vote cumulatif ou non, transférabilité ou non), vous votez, soit en donnant votre voix à l’une des listes/candidatures, en répartissant votre voix par un total de points fixe, en classant l’ordre dans lequel des listes/candidatures reçoivent tout ou partie de votre voix : dans ce cas vous n’avez pas besoin de connaître toute l’offre, juste suffisamment pour vos préférences. J’ajouterai que si l’offre est trop réduite, vous allez vous retrouver à devoir chercher davantage parmi les candidatures en présence, là où davantage d’offre aurait pu vous permettre de trouver une candidature que vous préférez. Quand vous commencez à détester tout ce que raconte ou promet une liste, que vous en êtes en fort désaccord sur plein de points, vous n’avez pas besoin d’approfondir davantage si vous avez déjà trouvé largement mieux. Donc ici ce serait plutôt baisser l’offre qui vous rajoute du temps/énergie non négligeable supplémentaire, tout en diminuant l’expressivité et la représentation des électeurs. Raison de plus pour laquelle nous ne cherchons aucunement à restreindre l’offre.
J'espère que pour des législatives ou des européennes, une limite à 20 listes c'est une blague. C'est évidemment pas du tout assez.
Si vous voulez fixer une limite arbitraire sur des listes fermées et bloquées, choisissez plutôt le chiffre de 135, c’est pas qu’une boutade, mais aussi un chiffre de nombre maximum de relations qu’une personne humaine pouvait gérer selon une étude de psychologie, enfin selon le titre de l’article que je n’arrive pas à retrouver.
Du point de vue de l’offre, des candidats/listes en présence :
- Il est essentiel que l’ensemble des électeurs puissent avoir connaissance de l’ensemble des candidatures et de leurs messages (programmes inclus) dès le début de la campagne électorale et ce durant toute sa durée (et même après, pendant toute la mandature en fait).
Il faut alors gérer le contact entre les candidats et l’ensemble des électeurs, ce qui passe par l’accès à l’information (notamment accéder aux sites des candidats où ils déposent tout ce qu’ils ont à dire selon les formats de leurs choix), la lutte contre la désinformation, et la gestion légale et effective de la médiatisation, des temps de parole dans les débats médiatisés et de clips audiovisuels dans la campagne. Si vous souhaitez on pourra parler davantage de cet aspect et de la façon dont il est géré aujourd’hui.
Le principal risque qu’on nous invoque (notamment l’ancienne présidente du CSA Christine Kelly dans une ancienne interview que je pourrais retrouver), serait que certains, sans chercher à être élus, profitent des clips audiovisuels pour faire de la promotion d’un régime étranger (ce qui n’est pas à proprement parler de l’ingérence électorale, qui consisterait plutôt en une manœuvre inverse),
ou de la promotion publicitaire (ce qui a par exemple une fois été fait par Die Partei, parti satirique allemand, et qui est de toute façon déjà interdit par le code électoral français)…
ou juste pour ouvrir la fenêtre d’Overton, mais ça c’est inhérent à la politique, ce serait aussi idiot qu’antidémocrate d’interdire les « nouvelles » idées (adjectif relatif, se basant sur une variable de référence), à ne pas confondre avec ce qui est interdit de faire passer comme législation une fois au pouvoir, et à ne pas confondre non plus avec les délits d’appel à la haine qui sont eux constitutifs d’actes, traductibles en justice, et non pas juste sur l’impression ou l’interprétation qu’un analyste politique peut donner d’un programme.
D’un point de vue technique :
- la difficulté d’organiser des débats avec davantage de participants, même si aujourd’hui les médias s’asseyent complètement là-dessus et n’en n’ont rien à faire de l’inéquité qu’ils créent. Je pense que les médias publics ne devraient pas pouvoir faire ça.
- la taille du bulletin de vote
Je ne vois pas de quoi vous parlez. Ce sont aux candidats de payer leur campagne, et en échange de ce coût aux législatives ils peuvent espérer toucher du financement public selon leur score, donc il n’est pas du tout nécessaire que davantage de candidats implique davantage de budget pour la collectivité. Par ailleurs aujourd’hui les principaux coûts pour une élection pour une liste c’est (je suis pas un spécialiste mais je connais dans mon parti des spécialistes de la question, si ça intéresse quelqu’un) :
- le prix des affiches sur les panneaux destinés à cet effet (même si j’ai toujours pensé qu’à part donner les liens où on peut les retrouver, ça sert à pas grand chose de voir en grand leurs têtes qu’on connaît déjà),
- les professions de foi à envoyer par la poste,
- les bulletins de vote : ce qui est une honte créée par les législateurs français dans le seul but de rendre le scrutin inéquitable pour empêcher l’émergence d’alternatives issues de partis désargentés, et ainsi se maintenir au pouvoir / la France est quasiment l’exception mondiale, l’écrasante majorité des démocraties utilisent le bulletin unique, qui par ailleurs représente beaucoup moins de gaspillage de papier, toutefois je ne vois pas comment votre système proposé est compatible avec du bulletin unique.
Si vous aussi une telle idée vous révolte, je vous rappelle donc que si nous avons cette situation, c’est uniquement car les législateurs français ne veulent toujours pas du bulletin unique, alors même qu’on leur rappelle régulièrement que c’est simple, a plein d’avantages (sauf du point de vue des tricheurs), et existe et fonctionne partout dans le monde.
Et que donc, avec du bulletin unique, même si on décidait de faire payer ces coûts à l’ensemble des listes en présence, cela reviendrait extrêmement moins cher qu’aujourd’hui, plus exactement n fois moins cher, pour n le nombre total de listes en présence.
Si vous voulez en savoir plus sur ce sujet, je vous recommande cet article de quelqu’un qui a déjà eu à gérer plusieurs campagnes des différents types possibles d’élections en France, et qui connaît bien tous ces aspects du code électoral.
Bien que pour la présidentielle, comme pour les autres élections politiques, le système français ne fasse pas de bulletin unique (alors qu’il n’a aucune excuse), il préfère imprimer et payer lui-même tous les bulletins, alors même que c’est plus cher et représente donc x fois plus de gaspillage de papier (x = nombre de candidats), mais c’est aussi comme par hasard le seul cas où il y a du parrainages des grands électeurs, celui-ci ayant notamment pour effet de restreindre l’offre. Ce n’est, je pense, pas une coïncidence : dans tous les autres scrutins, les effets des modes de scrutin uninominaux (notamment aux législatives et départementales) en termes de dispersion des voix sont allégés du fait que certains candidats sont défavorisés du fait de cette barrière financière où il faut payer pour espérer avoir des voix. Si vous savez à l’avance pour qui voter, et que c’est un petit parti désargenté (qui va donc imprimer et livrer aux bureaux de vote moins de bulletins de vote que d’inscrits et probablement aussi moins que d’électeurs effectifs), je vous suggère comme moi d’imprimer votre bulletin de vote chez vous à l’avance sur le bon papier, 70 g/m², et de ne surtout pas prendre tous les bulletins de vote au bureau de vote si certaines listes ne sont pas aussi complètes que les autres. Mais vous remarquerez que si vous ne vivez pas seul, cela peut être un frein au caractère secret de votre vote, qui est par ailleurs pour moi le principal problème pour de la démocratie délégative liquide dont je parlerai sur un nouveau sujet.
D’autant plus que la présidentielle est aussi la seule qui impose un temps de parole égal, même si on sait tous que la campagne ne se débute pas qu’au début de la campagne officielle, mais est ultra-présente médiatiquement pendant des mois plus tôt. L’absence d’un candidat dans certains bureaux de vote aurait probablement un écho davantage important qu’aux autres élections, même si on peut constater qu’aujourd’hui déjà il y a des problèmes de bulletins de vote au niveau des bureaux de vote même quand ils ont été fournis (et suite).