Bonjour,
Je viens de découvrir ce forum et le principe du JM. En tant que citoyen participant régulièrement aux dépouillements en tant que scrutateur, je m’interroge sur les conséquences pratiques de la mise en œuvre du JM dans un bureau de vote réel. En effet, les modalités actuelle d’un dépouillement dans un bureau de vote visent à obtenir le résultat en minimisant les risques de fraudes et les risques d’erreurs. En effet, les erreurs entraînent le besoin de recompter qui entraîne une perte de temps, une fatigue et une baisse de la vigilance. Elles peuvent aussi entraîner, a posteriori, des recours en cas de contestation. Seule une application rigoureuse d’un processus de dépouillement éprouvé permet d’assurer la qualité du dépouillement. Si je comprends que le principe un vote = une enveloppe = un bulletin est toujours respecté avec le JM, comment les bulletins doivent-ils être conçus pour éviter les erreurs de lecture ? Si l’électeur doit écrire sur le bulletin, comment va-t-on distinguer les bulletins nuls des autres ? (On sait que faire des trous dans le bulletin peut poser des problèmes, comme ce fut le cas aux États-Unis par le passé). Comment les feuilles destinées à recueillir les comptes doivent elles être structurées afin d’éviter les erreurs de comptage ? Quel accroissement du temps de dépouillement sera induit par le comptage multiple associé à un bulletin donné ? Quels types de fraudes pourraient facilement être détectés lors du dépouillement d’un scrutin au JM ? Voici quelques uns des questions que je me pose.
Merci d’avance si vous disposez de réponses à ce type de questions.
Stéphane
PS : Ce message ne concerne évidemment pas les votes électroniques.
Bonjour
Bienvenue sur le forum!
Il est clair qu’un dépouillement en JM sera plus long et plus risqué qu’un dépouillement d’un vote majoritaire à deux tours.
Je pense que les bulletins peuvent comporter la liste des candidats, avec en face de chaque candidat le nombre de colonnes voulu (par exemple 7), une étant intitulé « Très bien », la suivante « Assez bien », etc. L’électeur n’aurait qu’à cocher, en face de chaque nom, la case désirée.
Je pense que s’il se limite à faire des croix, le bulletin ne sera pas nul, mais que si autre chose est griffonné, cela n’ira pas.
Une autre possibilité pourrait être de préparer, pour chaque candidat, 7 piles de papier : une pile de « Dupont 1 », une pile de « Dupont 2 », … , pile de « Dupont 7 », piis pile de « Durant 1 », …, « Durant 7 », … et qu’un électeur mette pour chaque candidat un et un seul papier avec son nom et la note choisie. Cela éviterait à l’électeur d’avoir à écrire, mais cela représenterait beaucoup plus de papier à fournir. Economiquement et écologiquement, c’est moyen.
La feuille de structure devrait avoir une colonne des noms des candidats, et puis pour chaque candidat, 7 colonnes, avec un bâton à mettre dans la colonne adéquate pour le candidat adéquat.
C’est évident que le temps sera accru. Au lieu d’avoir à noter un nom, il faudra, pour chaque candidat, trouver la bonne colonne et noter. A minima, s’il y a N candidats, cela devrait prendre selon moins au moins N fois plus de temps.
Je ne sais pas s’il y aura plus de fraude au JM, et je ne pense pas. En revanche, il y a un point important, c’est qu’il sera plus facile de truquer le vote. Explication :
avec un scrutin ajoritaire à deux tours avec N candidats, au premier tour, la personne a N choix de votes pour s’exprimer (je ne compte pas le bulletin blanc qui n’a aucun effet).
Avec le JM, la personne a 7 puissance N manières de s’exprimer.
Ainsi, supposons un groupe de pression (une mafia) qui dirait à un électeur d’un village de 500 habitants : vous votez pour M. Durant au scrutin majoritaire, l’électeur en question peut décider de voter pour mme Dupont en supposant qu’il y aura au moins un vote pour M. Durant et que sa désobéissance ne sera pas connue.
Avec le JM, si la mafia va voir un électeur en le menaçant et en l’obligeant à voter :
7 pour M. Durant
1 pour Mme Dupont
3 pour M. Duboudin
et laisser vide la mention pour Mme Dugenou
Il y a peu de chances qu’un tel vote existe, et l’électeur aura intérêt à se plier à cela sous peine d’avoir des ennuis après si aucun vote conforme à cela ne se retrouve dans l’urne…
J’ajoute enfin un point que vous n’avez pas abordé, c’est la question de la transmission des résultats.
Il faudra, pour chaque candidat, communiquer le nombre de voix qu’il a eues pour chaque mention. Ex : M. Dupont, 356 votes « 7 », 184 votes « 6 », etc., ce qui multiplie le nombre d’informations à transmettre et donc les risques d’erreur.
Merci Benoît pour votre réponse très intéressante. Il me semble que ces différentes problématiques pratiques doivent être étudiées, au delà des aspects théoriques du JM, car les solutions qui y seront apportées conditionneront son applicabilité à large échelle. Il faut savoir qu’avec le vote majoritaire, le dépouillement est déjà une opération demandant beaucoup de rigueur qui est réalisée en fin de journée, encadrée par des personnes ayant souvent été actives toute la journée, pour certaines levées tôt le matin pour aller chercher les bulletins et que leur soirée n’est pas terminée après le dépouillement puisqu’il s’agit d’apporter tous les documents, relevés, bulletins à la Préfecture du département (qui peut se trouver loin du bureau de vote). S’il faut N fois plus de temps pour dépouiller le même nombre de bulletins (avec N le nombre de candidats), il faudra alors plus de personnes pour traiter moins de bulletins dans un temps raisonnable (dépouillement des bulletins « en parallèle » sur plusieurs tables). Mais se posera alors la question de l’espace, car le dépouillement demande des tables, des chaises et de l’espace. Dans une élection classique, on peut constater que des éléments comme le nombre de candidats (il faut retrouver la ligne où cocher) ou la taille des bulletins (il faut les déplier) influencent déjà le temps de dépouillement. Lorsque le dépouillement s’annonce long, on a tendance à chercher à accélérer la cadence ce qui a pour effet de favoriser les « comportements à risque » : on réduit la rigueur, les spectateurs interviennent, et c’est là que l’on peut faire des erreurs qui vont faire perdre encore plus de temps à la fin du dépouillement.
Pour compléter ma réponse à Benoît, il me semble que le risque de pression mafieux évoqué n’est réel que sur de petits bureaux de vote (avec peu de votants). En effet, les votes ne seront vraisemblablement pas enregistrés individuellement, ce qui fait qu’à partir des feuilles de résultat, il sera impossible de reconstituer les bulletins et de vérifier qu’aucun bulletin correspondant au vote demandé n’a été réalisé. Cette vérification ne sera possible qu’au cours du dépouillement et demandera une extrême vigilance au « vérificateur » car il devra être attentif à tous les votes, sans exception.
Bonsoir
Ah mais oui très juste, bonne remarque.
Effectivement, à partir des feuilles de résultat, il sera impossible de reconstituer les bulletins. C’est vrai. D’un côté c’est bien parce que le rôle de la mafia est complexifié (il faudrait venir alors avec plusieurs scrutateurs, ce qui est plus compliqué quoique pas impossible malheureusement), de l’autre, du point de vue du statisticien ou de l’analyste politique, c’est une catastrophe.
Savoir par exemple que 95% des gens qui ont mis Excellent à tel candidat ont mis Excellent ou très bien à tel autre peut être riche d’enseignement pour une analyse politique fournie, et peut avoir des conséquences pratiques, tel un rapprochement de deux partis politiques, par exemple.
Remarque : si l’on veut se débarrasser encore plus de la mafia (mais en entravant complètement l’analyste politique), une manière est de prévoir autant de feuilles de vote que de candidats, et autant d’urnes que de candidats. Il y a l’urne pour le candidat n°1, où les gens mettent un bulletin « Excellent », ou « Très bien », etc., idem pour l’urne pour le candidat n°2, etc. Ainsi même l’armada de scrutateurs envoyés par le capo local reste bredouille (mais le statisticien aussi).
Avantages :
-complexifie le risque de pression
-facilite le dépouillement
Inconvénient :
-consomme pas mal de papiers
-nécessite lors du dépouillement de ne pas mélanger les bulletins de l’urne n°X avec ceux de l’urne n°Y, sinon c’est fichu, et le risque de fraude accru peut être là : mélanger des bulletins de vote ; une parade : mettre le nom du candidat sur le bulletin pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté ; et là le mélange ne peut être fait.
Et cela nécessite tout de même de dépouiller N*A bulletins, où A est le nombre d’électeurs et N le nombre de candidats, contre A bulletins lors d’un vote à scrutin majoritaire.
Je vous suis tout à fait quand vous parlez également de la lourdeur du processus électoral. C’est clair, et c’est quelque chose qu’il faut avoir en tête. Néanmoins, aussi lourd soit-il, je pense que cela ne peut pas être rédhibitoire : le fait d’avoir un mode de scrutin significativement meilleur que l’existant est une motivation suffisante pour triompher des problèmes d’organisation qu’il ne manquera pas de poser.
Rien n’empêche, si les bénévoles ne sont pas en nombre suffisant, de recourir à des gens payés pour cela (vu le nombre de chômeurs qu’il y a, on ne va pas me faire croire que ce serait compliqué de trouver quelques personnes sachant lire et écrire et désireuses de travailler quelques heures payées au Smic). Pour rappel, les conseillers municipaux ne peuvent refuser d’être assesseurs, sous peine de démission d’office. Donc il y a forcément déjà a minima l’effectif du conseil municipal.
Remarque : j’ai plusieurs fois participé au dépouillement d’élections dans mon ancienne ville de résidence (dans la nouvelle, il y a des machines électorales, donc pas de nécessité de personnel). Cela peut être un peu long, mais généralement l’ambiance est sympa, et je n’avais pas eu l’impression que la ville avait eu du mal à recruter des bénévoles. Remarque : ils promettraient un mini apéro après le dépouillement, je pense qu’ils auraient davantage de volontaires, et cela coûterait moins cher que des salaires.
Bonsoir Benoît,
La proposition de que vous faites de proposer une urne par candidat présente pas mal de contraintes, qui de mon point de vue sont rédhibitoires.
Faisons déjà les comptes :
Avec N candidats et A électeurs, il faut :
- N urnes
- N*A enveloppes
- N*A bulletins à dépouiller
Cela revient à dépouiller N scrutins en parallèle.
Si l’on suppose que l’on ne souhaite pas que le dépouillement dure plus longtemps que pour une élection normale, il faut alors disposer au moment du dépouillement de : - N fois plus d’espace, N fois plus de scrutateurs, N fois plus de tables, de feuilles de dépouillement, de stylos etc. que pour une élection normale, ce qui n’est pas possible, les écoles et autres locaux municipaux n’étant pas extensibles.
Je ne parle pas du processus électoral lui-même qui demanderait aussi N files d’attente devant les N urnes, N personnes responsables de chaque urne, N fois plus de temps pour voter.
On peut aussi imaginer dépouille chaque urne successivement, mais cela poserait alors le problème de la durée du dépouillement. En comptant une 3/4 d’heure par urne (cas très très favorable avec une faible participation), dès que N est un peu élevé vous passez la nuit à dépouiller.
Ça coince aussi du fait qu’il s’agit en réalité d’une élection unique, les feuilles de dépouillement ne peuvent donc logiquement pas être séparées, à moins d’ajouter une étape intermédiaire permettant de reconstituer le tableau des résultats. Cette étape pourrait évidemment donner lieu à des erreurs.
Pour avoir vécu le dépouillement de deux élections simultanées (départementales et régionales) il y a quelques mois, je vous garantis que même avec N = 2, c’était coton. Nous avons dépouillé les deux élections successivement ce qui nous a fait terminer bien tard. Je n’imagine pas le souk que ça pourrait être pour N un peu grand…
J’aime bien l’idée de l’apéro. En pratique, je n’ai jamais vu ce type de proposition pour les scrutateurs.
Bonjour,
Vos remarques sont tout à fait pertinentes et je retire mon idée.