Bonjour à tous,
Comme ce forum reprend des couleurs et de l’activité d’une part et que d’autre part il est normalement dédié au jugement majoritaire, partant du constat que les deux fils de discussion les plus animés n’en parlent pas, je voudrais revenir sur certaines préoccupations que j’ai relatives au JM. En effet, je le dis tout de suite, j’ai l’impression, après ces années passées sur ce forum et de réflexion, que certains éléments me paraissent plaider plutôt en faveur du vote par approbation, mais je ne demande qu’à être détrompé.
Je sais bien que la plupart de ces questions ont déjà fait l’objet de longues discussions sur ce forum, mais disparatement, et il me paraît donc préférable d’avoir un fil unique permettant de traiter les différentes objections.
Je commence par les plus simples pour terminer par les plus compliquées.
- Y a-t-il un critère objectif pour indiquer précisément combien de mentions sont disponibles au vote ? Ou est-ce complètement subjectif ? Le fait qu’un des paradoxes mentionnés par M. Laslier ne peut exister qu’à partir de 6 mentions peut-il être un argument pour rester à 5 maximum ?
- Quels sont les arguments qui portent à privilégier des mentions textuelles (insuffisant, à rejeter, excellent) à une échelle chiffrée, du style 1, 2, … ? Je vois plusieurs arguments portant à privilégier des chiffres :
a. Le problème de la traduction des intitulés, si le système de jugement doit être exporté à l’étranger
b. La question de la signification du texte, qui peut ne pas être compris de la même manière
c. L’équilibre entre les mentions positives et négatives
d. Les gens sont maintenant habitués à noter les services et sociétés, sous la forme d’étoiles pouvant aller de 1 à 5, sans qu’il y ait vraiment besoin de texte sous-jacent.
Je sais que ces deux points ont fait l’objet de discussions assez denses dans un long fil, mais la longueur des discussions m’a laissé penser que ces points étaient justement compliqués à établir, et donc subjectifs, pas « évidents ». - Comment traiter le cas des non exprimés sur des candidats ? Faut-il ne pas en tenir compte dans le calcul de la médiane ? Mais dans ce cas, c’est à lier à une question importante : est-on obligé, pour candidater, à fournir des bulletins de vote partout ? Je prends un exemple : X, candidat extrêmement populaire en Guadeloupe, veut se présenter à l’élection présidentielle. Si l’on ne l’oblige pas à mettre des bulletins partout, il en met uniquement en Guadeloupe, et, avec une médiane de « Excellent », est donc brillamment élu président. Evidemment, cette problématique ne se pose pas sur le scrutin majoritaire à deux tours (ni dans le cas du vote par approbation ou du vote cumulatif). Le bulletin unique ne règle PAS le problème puisque rien n’oblige un électeur à s’exprimer pour tous les candidats ; et si vous voulez contraindre une expression de l’électeur pour tous les candidats (sous peine, par exemple, que son vote soit comptabilisé comme blanc pour l’ensemble des candidats), les électeurs vont passer trois plombes à fixer une estimation à des candidats qu’ils ne connaissent pas, et vous risquez de décourager la participation et avoir un taux de blanc élevé (par ceux qui n’auraient pas compris la consigne).
- Comment régler simplement les cas d’égalité ? J’ai l’impression que ce forum a très peu abordé cette question, alors qu’elle est pour moi tout bonnement fondamentale. En effet, la plupart des simulations tend à montrer qu’il y a plusieurs candidats qui sont arrivés en tête avec la mention majoritaire, et donc que c’est quelque chose de fréquent. Le départage de l’égalité est donc quelque chose d’important. Or, il n’est pas simple à comprendre et encore moins à mettre en œuvre. J’admets que quelqu’un a travaillé sur le sujet et proposé une formule plus simple à comprendre (voir : Jugement majoritaire — Wikipédia Méthode des groupes d’insastisfaits) et qui donne les mêmes résultats que la méthode initiale préconisée par les inventeurs du JM. Toutefois, cette formule n’est valable que si le nombre de votes exprimés est le même pour chacun des candidats. Sinon, c’est une formule un peu plus complexe, que j’ai établie avec papier crayon. On notera d’ailleurs en passant que si deux candidats sont à départager avec nombre de voix exprimés différents (par exemple, si un candidat est moins connu que l’autre et donc que davantage de gens laissent en blanc la mention donnée), la méthode préconisée par les auteurs ne donne pas forcément le même résultat que la même méthode appliquée sur les scores des candidats proratisés en pourcentage. Je donne l’exemple, pour que vous compreniez bien de quoi je parle : on suppose trois mentions, Insuffisant (I), Moyen (M), Bon (B). Voix obtenues par A : 61 I, 81 M, 6 B. Voix obtenues par B : 21 I, 22 M, 15 B. Dans les deux cas, la mention médiane est M, et on voit qu’il suffit de retirer 17 M pour lever l’incertitude, ce qui donnera pour A : 61 64 6 et pour B : 21 – 5 – 15 et donc A bat B avec une mention médiane de M contre une mention médiane de I pour B. Maintenant, supposons qu’en fait l’on force tout le monde à voter (ou que l’on passe en pourcentage) : alors A à pour profil : 41% - 55% - 4% et B : 36% - 38% - 26%. On voit qu’il faut enlever 18% et donc on arrive pour A à : 41 « % » - 37 « % » - 4 « % » et B : 36 « % » - 20 « % » - 26 « % » et donc B gagne avec une mention médiane de M contre une mention de I pour A. Bref, savoir si s’exprimer pour tous les candidats est obligatoire est important, et si c’est facultatif, savoir si on proratise en pourcentage les résultats des candidat peut avoir un impact sur le résultat. Un test où les 6 nombres de voix sont définies aléatoirement entre 0 et 100 montre que, parmi toutes les simulations où la mention médiane est M pour les deux candidats, il y a entre 7% et 8% de simulations où le résultat n’est pas le même en prenant le nombre de voix et le nombre de voix proratisé en pourcentage. Je concède qu’au réel ce sera très probablement moins, puisque normalement il ne devrait pas y avoir de gros écarts entre les différents nombre de voix exprimés pour les candidats. Mais, néanmoins, ce point doit être pris en compte.
Par ailleurs, a-t-on vérifié s’il n’était pas ouvert à des paradoxes ? D’autres méthodes de départage existent (Méthode de meilleure médiane — Wikipédia) : a-t-il été effectué un comparatif rigoureux pour sélectionner la « meilleure » méthode ? - Les paradoxes possibles : Jean-François Laslier l’a montré dans plusieurs textes, et j’avoue ne pas avoir trouvé la défense du JM très convaincante. Listons-en quelques-uns rapidement (voir la page Wikipedia citée supra) :
a. Ne favorise pas le candidat le plus centriste, mais le candidat le plus centriste du plus gros groupe. La question sous-jacente est donc : faut-il maximiser la probabilité de désignation d’un candidat médian ? Est-ce un critère d’un « bon » système de vote ? Est-ce que le paysage politique est une droite ? Un espace ? un cube ? Un cercle ? Faut-il esquisser une fonction de « regret » du style (x_i-a)^alpha, avec alpha>0, x_i le positionnement politique de l’électeur, a le positionnement politique de l’élu, et calculer sur i la somme des fonctions de regret pour voir dans quelle méthode de vote on atteint le minimum ? Seconde question sous-jacente : qu’est-ce qu’un bon système de vote ? Certes, ce point a pu être traité en marge dans certains sujets, mais sauf erreur de ma part, je n’ai pas l’impression que l’on ait listé, dans un fil spécifiquement dédié à cela, les critères que doit remplir un bon système de vote, et comment le JM se positionnait, et comment se positionnaient les autres systèmes de vote. Je trouve cela dommage. Autant je suis persuadé que le JM est meilleur que ce que l’on a, autant je ne suis pas certain, voire ne pense pas, que le JM serait le meilleur système de vote.
b. Possibilité que le jugement majoritaire désigne le candidat préféré par une seule personne alors que l’ensemble des électeurs, à part cette personne, préfère l’autre candidat → ce paradoxe n’apparaît qu’à partir de six mentions possibles ; cela pourrait-il être un argument pour limiter les mentions à 5 ? Que répondre à cela, à part « ce n’est pas fréquent » (ce qui d’une part n’a pas, semble-t-il, été démontré rigoureusement, d’autre part ne constitue pas selon moi une réponse valable puisque l’on a des méthodes sans ce paradoxe et qu’il faudrait donc alors démontrer rigoureusement que les avantages du JM l’emportent sur les inconvénients par rapport à ces autres méthodes) ?
c. Possibilité que le vainqueur passe de A à B en ajoutant les avis d’un électeur qui préfère A à B, ce qui est contre-intuitif, puisque l’électeur aurait eu intérêt en fait à s’abstenir. S’exprimer peut donc nuire, ce qui est curieux. Remarquons que si le vote est « radicalisé » (que les mentions extrêmes), à première vue (je n’ai pas démontré rigoureusement, mais je le pressens), je pense que le paradoxe n’apparaît plus. Ce point montre quand même que l’idée de base à savoir que personne n’a intérêt à radicaliser son vote est fausse ; et à supposer qu’il n’y a pas intérêt, que de toute manière cela ne nuit pas, et donc que si l’électeur est logique, il ne devrait émettre que du « A rejeter » ou « Excellent ». - Cela fait une transition avec mon point suivant. Enfin, quel intérêt à être honnête ? Il m’a été démontré très brillamment que dans des dispositions très spécifiques, avec très peu de gens, sous des hypothèses très précises du style si un électeur hésitait, il pouvait y avoir un intérêt. Ok. Mais dans les élections qui dépassent disons les 10 personnes où l’on n’a pas d’idée précise de qui va voter exactement quoi mais seulement une idée de la tendance, je ne vois pas dans quel cas j’aurais intérêt à ne pas radicaliser mon vote. J’entends parfaitement que ce n’est pas ce qui se passe dans la réalité, et que la plupart des électeurs, voire la quasi-totalité, vote « honnêtement ». Le problème est que du coup cela donne un avis « renforcé » aux petits malins qui jouent avec le système en décidant de radicaliser les avis. J’’entends la remarque en face, à savoir que normalement cela ne devrait pas jouer. Je ne suis que partiellement convaincu par cette réponse. Je prends un exemple tout simple : supposons une élection avec trois candidats, A, B, et C. J’aime beaucoup A, j’apprécie peu B, j’exècre C. Or, il se trouve que tous les sondages donnent C gagnant, puis B, puis A. Théoriquement, je devrais voter quelque chose comme A Excellent, B, Insuffisant, C à rejeter. Mais je sais que A n’a aucune chance de gagner, tandis que C a toutes ses chances. Je devrais donc voter B Excellent, parce que le gain attendu, à savoir avoir une possibilité de me débarrasser de C, l’emporte de beaucoup sur l’inconvénient, à savoir que B batte finalement A, puisque de toute manière il n’y avait aucune chance à avoir A avant C. Or, il y a quand même une chance non négligeable que la médiane de B soit comprise entre insuffisant et excellent.
Je relis mon paragraphe et me demande si je suis suffisamment clair : il y a deux problèmes, d’une part l’utilisation des mentions intermédiaires (en quoi sont-elles utiles ?), d’autre part le fait d’être honnête (vote réel contre vote stratégique). C’est d’ailleurs pour moi un des critères qui devrait être pris en compte pour étudier la qualité d’un vote : le vote est-il facilement manipulable ou pas ? Voter stratégiquement peut-il changer les résultats ? - Et puis comme on l’a vu ce mode est inopérant avec les scrutins par liste.
Rq : un problème qui ne semble pas avoir été traité : le vote par approbation est-il un JM ?
Autrement dit, si l’on a deux mentions, l’une « A rejeter », l’autre « à approuver », que l’on organise un JM d’une part et d’autre part un vote par approbation avec une symétrie (A approuver=1 voix en approbation et A rejeter=0 voix en approbation), les vainqueurs seront-ils les mêmes ?
Je vous épargne la démonstration mathématique :
-si tous les électeurs doivent s’exprimer sur tous les candidats, alors le vote par approbation est un JM
-si des électeurs ont le droit de ne pas s’exprimer sur les mentions, alors ils voteront blanc pour le JM, ce qu’ils ne peuvent pas faire pour le vote par approbation, où un vote « blanc » sera en fait considéré comme un « absence de soutien ». Dans ce cas, les gens qui n’approuvent pas se répartiront entre « A rejeter » et vote blanc, et les vainqueurs peuvent diverger entre le vote par approbation et le JM (avec un candidat qui a un peu plus d’approbation et aucun blanc, contre un candidat qui aurait moins d’approbation mais beaucoup de votes blancs).