Démocratie Délégative, Démocratie Liquide

IV. Démocratie Délégative, Démocratie Liquide :
vers des Cycles Législatifs/Décisionnels

Merci @domi41 pour ce récap. On peut aussi rajouter pour compléter la raison 1, en particulier si les délégations sont ajustables par thème/sujet ou si les compétences de l’organisation ne sont pas trop diverses, ça permet de déléguer à qqn dont on considère qu’il maîtrise mieux le sujet ou qu’il est davantage concerné par le sujet.
Pour toutes ces raisons, on cherche à voir sur ce fil comment faire de la démocratie délégative.

Je vais donner l’exemple du Parti Pirate français (PP) qui pour tous ses scrutins internes (que ce soit les votes sur des motions, ou les élections internes), utilise de la démocratie délégative depuis la réforme des statuts fin 2018, et qui a pour ce faire créé son propre logiciel, Congressus.
Chaque membre adhérent a 100 voix et peut les répartir entre autant de délégataires qu’il le souhaite, et en garder autant qu’il le souhaite. Chaque membre peut cocher s’il accepte ou s’il refuse les délégations, et les membres peuvent ainsi être fixés. J’y reviendrai. Les voix dans une démocratie délégative peuvent être représentés sous la forme d’un graphe de délégations, dont a parlé @domi41, ou encore comme au PP avec une liste de qui a combien de voix, avec une branche déroulable pour chaque délégataire qui avait lui-même déjà des délégations.

Je ne comprends pas trop votre questionnement : dans ce premier cas, c’est un peu comme notre discussion sur le vote cumulatif, soit chaque citoyen a n voix, qu’il répartit comme il veut (comme au PP), soit il a 1 voix qu’il partage en autant de parts égales qu’il veut. Pour le cas de repeindre le garage en vert fluo ou en jaune canari, la situation que vous évoquez est une stricte égalité, je n’ai pas l’impression que c’est dû à la démocratie délégative. La formulation est toujours importante, c’est d’ailleurs un des problèmes que j’ai soulevé sur certains référendums actuels.

Pour ma part, dans ce cas je verrais la moitié de votre voix ira sur TB et l’autre moitié sur Mauvais (ou une partie a/n et une partie b/n avec a+b=n et n = votre voix), tout du moins dans un scrutin avec beaucoup d’électeurs. D’autant plus qu’ainsi la délégation devient la seule façon d’exprimer un tel vote (ce que j’ai d’ailleurs pu constater au PP). Mais on peut aussi y voir une bonne raison (éviter une tendance aussi contradictoire, après c’est pas pareil que si qqn hésitait entre 2 mentions voisines) pour restreindre les délégations à un seul délégué par délégataire sur la question des votes finaux et des votes finaux seulement (pas des dépôts de propositions/amendements parlementaires ou autre truc de décision par ex).

Du coup oui. Le cas que j’ai présenté est celui où on se base sur la médiane des votes initiaux (je crois :thinking:).
Dans le cas où c’est 1 électeur pour plusieurs délégués, on peut dire qu’avec la médiane des médianes, il n’a pas pas « partagé » sa voix entre eux, mais il l’a remis à la médiane d’eux, je vois donc l’intérêt potentiel. Mais envisagez-vous aussi la médiane des médianes dans le cas où 1 délégué a les voix de plusieurs électeurs, et si oui à quoi ça ressemblerait et quel serait l’intérêt car j’ai un peu de mal à visualiser.


Deux questions qui me semblent aussi très importantes à rajouter pour toute démocratie liquide.
Un citoyen décide de déléguer sa/ses voix à quelqu’un :
- à quel moment et selon le système, pour quelle durée et/ou pour qu’il puisse les utiliser pour voter sur quoi ?
- qui est informé de qui a délégué ses voix à qui, et qui est informé de qui a voté quoi avec quelles voix ?

Cette même réforme des statuts a aussi ajouté des cycles de 4 semaines : la 1ère semaine du mois est la dernière semaine pour déposer une motion pour le cycle de ce mois, les 2 semaines suivantes sont ouvertes au débat (même si souvent c’est la continuation d’un débat sur le même thème de la motion) et aux amendements, et la 4ème semaine est celle du vote.

Ce type de système de cycles me semble assez nécessaire pour faire une démocratie délégative viable, ou juste quelques référendums sur le modèle suisse (ils ont 4 dates par an, tous les 3 mois, pour tous les référendums), mais serait aussi très utile pour améliorer notre fonctionnement parlementaire, permettrait :

  • d’éviter tous ces cas où le gouvernement ou les présidents de commissions, qui ont la main sur le calendrier législatif, convoquent des votes à des horaires improbables pour faire adopter des textes impopulaires quand l’assemblée est quasi-vide, et de façon générale de forcer les députés à choisir entre participer à telle commission ou à tel vote ou à être en circonscription ou ailleurs
  • mais aussi d’éviter l’obstruction parlementaire telle que le filibuster.
  • Cela permettrait également d’éviter le biais des votes des amendements, où le fait d’en voter certains avant d’autres a une incidence non négligeable. On pourrait accompagner ce changement d’un développement d’autres formes de participation au débat parlementaire que l’oral en hémicycle, par exemple l’écrit, ce qui irait de pair avec ce système de cycles, où l’on connaît à l’avance les durées des étapes du cycle.
et éventuellement d'autres changements.

Je rappelle par ailleurs que le le règlement intérieur de l’Assemblée nationale interdit d’appuyer son discours par des images ou graphiques (alors qu’on pourrait installer un vidéo projecteur dans l’hémicycle), alors qu’on sait que ça peut valoriser un travail de type rapport ou exposé.

La présidence de l’Assemblée rappelle également que selon l’instruction générale, « dans l’hémicycle, l’expression est exclusivement orale » et « l’utilisation à l’appui d’un propos de graphiques, de pancartes, d’objets ou d’instruments divers est interdite ». Depuis leur élection, il est arrivé aux députés mélenchonistes de sortir des produits de consommation, des paquets de pâtes notamment, pour protester contre la baisse des aides personnalisées au logement.

(source : extrait de https://www.rfi.fr/fr/france/20180125-france-maillots-foot-assemblee-nationale-code-vestimentaire-rugy)


V. Démocratie Délégative, Démocratie Liquide :
Moyens, et Secret du Vote

Comme l’explique l’article Parti Pirate - Dis-moi comment tu votes, je te dirai dans quelle démocratie tu es, le PP utilise du vote électronique par internet, mais c’est car il a fait le choix que ses votes internes soient publics et non secrets. Le Parti Pirate est un parti politique, une association loi 1901, donc ses membres ont choisi de le rejoindre (de plus il permet le pseudonymat), contrairement à toutes les collectivités territoriales dont on est citoyen, qui s’imposent à nous sans qu’on puisse décliner facilement, et dans lequel on considère très généralement que le secret du vote est l’une des conditions nécessaires (par ex La notion de sincérité du scrutin | Conseil constitutionnel) mais qui n’est un acquis mis en place que progressivement au XIXe siècle en Europe, avec l’invention de l’isoloir (même si j’avais lu que pendant des décennies le PRI avait pu se maintenir au pouvoir en Mexique en partie car les électeurs pensaient qu’il les filmait/observait dans les isoloirs) et le passage obligatoire à celui-ci pour voter.

Quelques liens complémentaires sur pourquoi le vote électronique ne permet soit pas le secret du vote, soit de vérifier qu’il n’y a pas eu trucage des résultats :
Débats 2020-10 : Amendement du point programme : vote électronique - #9 par Farlistener - Débats - Parti Pirate - Discourse,
Le Parti Pirate privé du droit de contrôler le scrutin pour 700 000 électeurs - Numerama,
Internet – Les hackers ont «piraté» l'e-voting de La Poste | Tribune de Genève,
Élection américaine : soupçons de fraude sur le vote électronique dans certains États - Sciences et Avenir,
Tout récemment : un maire a organisé une consultation électronique qui lui donne toute latitude pour truquer les résultats : Talmont-Saint-Hilaire : uniforme, levée des couleurs, les résultats de la consultation | Le Journal des Sables et Talmont-Saint-Hilaire : la consultation sur la tenue unique contestée | Le Journal des Sables

Pour les mêmes raisons, certains déconseillent de signer les pétitions officielles des assemblées, qui exigent, et c’est normal pour qu’il n’y ait pas d’abus, un identifiant par personne, correspondant à leur identité civile, via France Connect.


Mais, même en imaginant que l’on n’ait pas ce problème, le fait est que si l’on reprend tous les passages sur le secret du vote (en gras à la fin de chaque partie ci-dessus), on voudrait (corrigez moi si vous voyez un point non-nécessaire ou non-souhaitable) pour les élections politiques des collectivités territoriales, et pour la démocratie professionnelle ou étudiante :
- quand un citoyen vote directement (sans délégation), son vote doit être secret des autres
- quand un citoyen délègue tout ou partie de ses voix, ce que son délégataire en fait doit être connu de ce citoyen, mais pas nécessairement des autres
- quand un citoyen délègue tout ou partie de ses voix, qui a délégué combien de ses voix à qui doit être connu du citoyen, mais ne doit pas être public

On remarque qu’aujourd’hui en France il existe des cas où ce n’est pas complètement respecté :

  • comme avec l’exemple du référendum italien de 2005, ce que l’on a voté est secret, à l’exception d’un seul « choix » (qui n’en n’est d’ailleurs pas forcément un) : l’abstention. Cela a été soulevé lors d’une relance de cette discussion sur le vote obligatoire.
  • on peut aussi deviner ce que n’a pas voté quelqu’un si on sait dans quelle commune il vote, certaines options récoltant parfois 1 ou 0 voix à certaines élections
  • aujourd’hui on n’a pas de démocratie délégative, mais on peut donner sa voix à un autre électeur de la même commune (même si l’élection couvre un suffrage plus grand que la seule commune), c’est le vote par procuration, il est fait notamment pour ceux dans l’incapacité de se déplacer au bureau de vote le jour de l’élection, la personne avec votre procuration peut voter ce qu’elle veut avec les bulletins de vote sous la main une fois dans l’isoloir, peut-être qu’elle vous dira qu’elle a voté ce que vous lui aviez demandé ou laissé comme choix, mais rien ne l’y oblige.

Pour respecter ces 2 principes, il faudrait que le délégué puisse distinguer son vote personnel à lui, et le vote de chacun de ses délégués, mais aussi quels votes sont ceux de quel citoyen in fine (ce que ne fait pas le PP, mais il n’est pas concerné par le secret du vote).

Ça implique aussi autre chose : essayez d’imaginer une situation de démocratie délégative, vous recevez des délégations d’un proche qui connaît déjà votre avis sur le sujet, il sait ce que vous allez voter, vous le savez et donc il n’y aura pas de problème lorsqu’il verra ce que vous avez voté.
Mais imaginez que vous receviez des délégations de personnes à qui vous ne voulez pas être mêlés, à qui vous ne voulez pas avoir à rendre de comptes. Il faudrait donc peut-être que pour qu’une délégation se fasse, le délégué soit aussi d’accord, pas seulement le délégataire.

Une solution qui règlerait complètement la problématique du secret du vote (et la pression interpersonnelle qu’on peut subir de la part de qqn de proche ou d’autorité qui veut votre délégation ou qui au contraire veut savoir ce que vous votez avec sa voix), serait, pour les référendums, d’intégrer une option de déléguer sa voix à telle personne parmi une liste de personnes ajoutées sur le bulletin de vote et qui se sont préalablement officiellement et publiquement inscrits pour recevoir des délégations et avec l’annonce officielle/légale du vote correspondant. On peut imaginer que ce seraient des personnes investies dans le débat/campagne en question, et éventuellement donner un poids à certains arguments et points de vue pour éclaircir ce que les électeurs ont voulu dire (si on juge un texte passable ou insuffisant, ça ne dit pas dans quel sens, même si on aurait un comparatif vis-à-vis des options concurrentes). C’est peut-être de la démocratie délégative, mais ça n’a pas l’aspect liquide et continu car ce dernier nécessite de relier chaque citoyen à son délégué en cours.

Oui mais pour la dernière ligne ce n’est pas vrai pour tous les MPs : le mode de scrutin des municipales, des régionales et des européennes, ainsi que tous ceux qui ont été proposés sur le sujet des listes : un même électeur y est représenté par une partie des MPs, mais pas tous. En gardant un scrutin proportionnel, chaque électeur pourrait n’être représenté que par 1 MP (à condition de ne pas répartir ses voix, s’il y a vote cumulatif) si on casse l’égalité entre les MPs et que leur nombre de voix dans l’assemblée soit égale à leur proportion aux élections, sans quoi ça devient du vote unique non transférable.

Vous vous souvenez sur ce que je disais sur la démocratie représentative comme nécessité d’avoir des assemblées fixes pour le débat et l’action parlementaire ?
Je viens de penser à une idée implémentable : on pourrait choisir de remplacer OU de composer l’une des chambres d’un système bicaméral/tricaméral par de la démocratie délégative liquide, avec plusieurs possibilités différentes :

  • Chaque « candidat à la délégation » peut se présenter officiellement à tout moment pour tout cycle législatif (on peut s’attendre à savoir quels vont être les sujets abordés, ou alors on choisit justement tel candidat pour qu’il aborde tel sujet), le nombre de voix de chacun d’eux est public et chaque électeur peut choisir à qui il remet sa voix : in fine les candidats avec le plus de voix sont élus MPs et leur nombre de voix est proportionnel à leur nombre de délégations, à voir d’ailleurs si on permet de remplacer des candidatures individuelles par des listes.
    Le caractère liquide du vote, qui court sur une période définie, peut aider certains électeurs à regrouper leurs voix pour faire élire un candidat, et ainsi être représentés.

  • Pour le cas particulier d’une chambre haute qui sert à représenter les collectivités territoriales ou les états fédérés dans un état fédéral, ce système pourrait faire particulièrement sens pour soulever des situations, problèmes, propositions de solutions, et autres remarques, qui sont ceux de leurs territoires. Dans la mesure où actuellement ce sont les grands électeurs qui votent, leur vote a t-il vraiment raison de rester secret ? Les grands électeurs sont élus par les conseils municipaux, départementaux, régionaux, (auxquels on ajoute les députés et les sénateurs même si cela ne fait aucun sens selon moi), qui sont eux-mêmes par les citoyens. Le lien devient donc très distancié, avec autant d’étapes d’élections qui sont, au moins partiellement des votes secrets, tout ça pour aboutir à avoir des sénateurs élus pour 6 ans, parfois de justesse selon leur stratégie de qui forme une liste avec qui pour obtenir davantage de sièges, et donne lieu à des chambres hautes avec un « groupe majoritaire », ce qui ne correspond plus vraiment à l’idée de représentation des collectivités territoriales.

Pour aller plus loin sur ces parties IV et V, je vous invite fortement à lire tout ce sujet qui contient une proposition et plusieurs arguments importants : Une dose de démocratie délégative à l'assemblée - Projets de motions, d'équipages, etc... - Parti Pirate - Discourse. Par contre je précise qu’il est plus long que les autres liens que j’ai mis.

Bonne fin d’année

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