Vote alternatif et règle d'élimination des candidats

Bonjour

Dans le vote alternatif, il est indiqué que le candidat arrivé en tête le moins de fois est éliminé. Je me demandais ce qui se passait si on changeait la règle en « le candidat arrivé le plus fois en dernier est éliminé ». La philosophie est différente ; dans le cas 1, on essaye de trouver in fine quelqu’un qui satisfasse le plus grand nombre ; dans le cas 2, on essaye d’écarter les gens qui déplaisent le plus.
Une simulation avec trois candidats et où le nombre de votants pour chacune des 6 possibilités a été tiré aléatoirement entre 0 et 1000 voix montre que la règle donne un résultat différent dans environ 15 à 20% des suffrages.
Par exemple :
ABC 249 voix
ACB 734
BAC 361
BCA 747
CAB 139
CBA 774
Alors c’est C qui arrive le moins souvent en tête, mais c’est A qui arrive le plus souvent en dernier!
Et donc finalement avec la règle 1 c’est B qui est élu, et la règle 2 c’est C qui est élu.
On sait que le vote alternatif a pas mal de problèmes et paradoxes, et je voulais savoir si :
-cette alternative au vote alternatif avait-elle déjà essayé et si on lui avait donné un nom spécifique?
-cette alternative permettait-elle de corriger certains problèmes ou au contraire en ajoutait d’autres?
-cette alternative favorisait-elle les candidats plus extrêmes ou plus modérés par rapport à la règle standard?

En vous remerciant

Je réponds moi-même à ma dernière question. J’ai simulé une élection à trois candidats A B C orientés sur un axe gauche droite, donc les électeurs ayant pour ordre préféré ACB et CAB étaient égaux à 0. Pour rééquilibrer un peu, les électeurs préférant ABC variaient entre 0 et 1000, les électeurs préférant CBA variaient entre 0 et 1000, et pour ceux préférant BAC ou BCA, c’était entre 0 et 500 chacun.
Au bilan, on voit que B ne termine jamais en dernier donc il n’est jamais éliminé au premier tour avec la règle n°2. Les résultats sont sans appel : avec la première méthode d’élection, le candidat centriste gagne dans environ 50% des cas ; avec la deuxième méthode, dans un peu plus de 70% des cas.

En fait, le problème pour faire ça, c’est que cela nécessite que tous les électeurs classent tous les candidats (notamment pour avoir « le dernier »).
Cela dépend de si le mode de scrutin l’oblige ou non, par exemple il me semble que la méthode de Borda l’oblige.

Cependant, si le mode de scrutin par classement ne l’oblige pas (mais s’il l’oblige ça complexifie le choix pour les électeurs), une autre possibilité pour faire ça est de considérer que quand un électeur ne classe pas tous les candidats, tous ceux qu’il n’a pas classé sont « le dernier » mais pondéré par le nombre de candidats non classés (par exemple si un électeur n’a pas classé 3 candidats.

En fait ce qu’il faudrait plus généralement pour les modes de scrutin par classement, c’est qu’on puisse y mettre autant d’égalités que l’on veut (et ce à tous les endroits du classement), sans que cela ne pose problème lors du dépouillement ni lors de l’attribution du ou des sièges.

C’est la méthode de Coombs.

Il y a eu une expérimentation de ces deux modes de scrutin dans quelques bureaux de vote lors de l’élection présidentielle française de 2007 : Quel mode de scrutin pour quel « vainqueur » ? Une expérience sur le vote préférentiel transférable [*] | Cairn.info
L’URL de l’article : https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2009-2-page-221.htm.

L’article a ce titre mais c’est bien du vote par classement (sans égalité possible sauf pour les candidats classés derniers) qui est testé (et bien ces deux méthodes pour transformer ces votes en un résultat commun). D’ailleurs ce titre est logique puisque si on le réduit sur un seul siège à élire, le vote unique transférable devient du vote préférentiel (alternative vote :flag_gb:, instant run-off vote :flag_us:), là où le scrutin plurinominal proportionnel de liste fermée devient du scrutin uninominal majoritaire à 1 tour.

Avec la méthode de Coombs, les candidats auraient intérêt à ne pas être considérés comme les pires par les électeurs que les meilleurs pour une nombre important d’électeurs (contrairement au vote préférentiel « classique »). Concrètement pendant la campagne les candidats seront alors, à mon avis, incités à faire augmenter l’opinion qu’en ont les électeurs qui en ont les pires opinions, de manière à ce qu’ils remontent dans leurs classement, alors que dans le vote préférentiel « classique » les candidats sont plutôt incités à faire augmenter l’opinion qu’en ont les électeurs qui sont déjà assez haut dans leur classement, et en particulier auprès des électeurs préférant des candidats qui sont l’une des premières préférences le moins souvent, de manière à ce que leurs voix se reportent sur eux.

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Bonsoir Vesporium!

Merci pour vos réponses, comme d’habitude, fort intéressantes.

Sur votre premier message, vous avez tout à fait raison d’évoquer le point du non-classement des candidats, et il est vrai que la méthode de Coombs, donc, oblige à classer tous les candidats, sauf effectivement à faire des calculs pondérés.
Il me semble que l’autorisation de faire des égalités, ou de classer seulement une partie des candidats, rend le vote plus compliqué à expliquer et à dépouiller ; toutefois, cela a quand même un avantage non négligeable, c’est que cela permet à l’électeur d’avoir une plus grande variété de choix possible, ou par exemple de transformer son bulletin de vote en vote par approbation s’il le souhaite, du style A=C=E>B=D, même si bien sûr il ne pourra pas changer la méthode de dépouillement et de choix du vainqueur.

Merci en tout cas pour le nom de la méthode (bon, quelqu’un y avait pensé avant moi, nihil novi sub sole, comme dit l’Ecclésiaste) et l’article, que j’ai lu avec attention.

En fait avant de lire votre réponse, je m’étais replongé dans mes fichiers Excel de test pour voir si un des problèmes de la méthode de vote, à savoir le fait que le vainqueur de Condorcet puisse perdre, était résolu ou aggravé.
Dans l’option n°1 (6 ordres équiprobables), les probabilités que le vainqueur de Condorcet, quand il existe, gagne, sont similaires : 95% avec les deux méthodes (Hare et Coombs).
En revanche, avec l’option n°2 (axe des candidats, donc impossibilité d’avoir du ACB ou du CAB) : avec la première méthode (Hare), le vainqueur de Condorcet (qui existe systématiquement) n’est désigné que dans 80% des voix, tandis que pour la méthode de Coombs, il est désigné à 100%, comme ce que dit l’article que vous avez cité en référence.
Il y a donc un avantage à la méthode de Coombs sur la méthode de Hare, à savoir qu’a priori le vainqueur de Condorcet devrait être plus souvent désigné (même si on n’est pas à un axe strict, on doit s’y rapprocher plus ou moins, voir Ce que le vote par approbation révèle des préférences des électeurs français | Cairn.info pour une intéressante étude sur cette question) ; et un inconvénient, c’est soit obliger l’électeur à tout classer, soit faire des calculs un peu compliqués pour établir qui a été nommé dernier le plus souvent en prenant correctement en compte les bulletins de vote « partiels », avec une partie des candidats non classés.
Toutefois, comme vous le signalez très justement, au-delà de ces aspects, c’est vraiment une philosophie de la campagne et des messages à faire passer, qui est déterminé par le choix de la méthode. Vu que les résultats changent pas mal (pour rappel, dans l’option 2, candidat centriste élu une fois sur deux avec la méthode de Hare contre 70% du temps avec la méthode de Coombs), in abstracto, on pourrait tout aussi bien se réjouir de l’éviction de candidats « extrêmes » (pour ne pas dire extrémistes), ou au contraire déplorer avoir systématiquement des élus centristes modérés sans relief et sans idée originale dont le programme viserait surtout à ne heurter personne, par la proposition des mesures les plus floues et les plus consensuelles.
Enfin c’est quand même assez frappant de se dire qu’un simple changement de méthode de vote peut changer le résultat de l’élection dans 20% des cas…

Edit : ah, et en relisant la page wiki de la méthode de Coombs, je me rends compte que celle-ci précise que le vote s’arrête quand la majorité absolue des électeurs a placé un même candidat en tête.
La précision est intéressante.
Avec la méthode de Hare, si, voyant que A, par exemple, était désigné par plus de 50% des électeurs en tête (cumul des bulletins ABC, ACB), on continuait néanmoins la méthode d’élimination, le vainqueur serait forcément A de toute manière.
Avec la méthode de Coombs, ce n’est pas le cas : Supposons que nous ayons :
26 électeurs ont voté ABC
25 électeurs ont voté ACB
49 électeurs ont voté CBA
Alors 51% des électeurs ont placé A en tête, donc il devrait être élu. Or, si on fait comme si on n’a rien vu et que l’on décide d’appliquer les règles de suppression du candidat le plus souvent mis en dernier, c’est A qui est désigné dernier par 49% de l’électorat (contre 26% pour C et 25% pour B), et il saute.
Du coup je me rends compte que sur Excel , je me suis trompé puisque je n’ai pas paramétré cette remarque pourtant importante, qui veut que le vainqueur ayant la majorité absolue ne puisse pas être éliminé.
Notons du coup que le fait d’atteindre la majorité est crucial.
Par exemple, si deux électeurs ABC décident finalement d’aller à la pêche le jour du scrutin, on a :
24 ABC
25 ACB
49 CBA
Et A est éliminé et B remporte le scrutin avec quasiment les trois quarts des voix

Bonne soirée à vous

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Bonjour

J’ai repris du coup mon programme et j’ai corrigé.
Dans l’option 1, sur 1533 simulations :
-dans 1178 cas, aucun candidat n’était placé à la majorité absolue en tête
-sur les 355 cas restant, 334 donnaient de toute manière ce candidat vainqueur ; il reste donc seulement 21 simulations (sur 1533, soit 1,4%) où le candidat préféré par plus de la moitié de l’électorat est éliminé car le plus placé en dernier.
Autrement dit, cela ne change pas fondamentalement les choses.
Dans l’option 2, cela ne change strictement rien.

Bonne journée