Répartition des sièges entre différentes listes

Bonsoir à tous,

J’ai passé ces derniers temps à lire comment on pouvait passer d’un vote entre différents partis pour une chambre à une répartition des sièges.
Par exemple, si il y 100 bulletins exprimés, 10 sièges à pourvoir, que A a récolté 40 voix, B 30, C 20 et D 10, on peut distribuer 4 - 3 - 2 -1 sans se fatiguer.
Mais si maintenant c’est 43 voix pour A, 26 pour B, 18 pour C et 13 pour D, on ne peut pas allouer des dixièmes de siège et il faut donc arrondir. D’accord, mais comment?

De mes lectures, j’ai retenu qu’il existait pas mal de méthodes, mais qu’aucune n’était réellement parfaite, et que des règles pourtant de bon sens pouvaient ne pas être respectées.

Sans réinventer l’eau chaude, je suggère comme documents :

C’est très intéressant, cela aborde le paradoxe de l’Alabama, le critère des quotas, si cela favorise plutôt les grandes listes ou les petites listes, les critères sous-jacents de minimisation de distance (encore faut-il définir la règle de distance) que l’on cherche à minimiser…

Bonne lecture!

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Bonjour,

Je ne sais pas si sur ce forum les gens sont plus passionnés de politique ou de mathématiques, mais pour ceux de la deuxième catégorie, j’ai un problème qui m’a paru intéressant que je viens de résoudre (en une heure).

On définit la méthode de Jefferson pour la répartition des sièges de la manière suivante : supposons que j’ai une élection avec N listes, la liste i ayant fait pi (p indice i) voix, et il y a S sièges à répartir. Alors on fait un tableau, chaque liste ayant sa ligne. En colonne, on met 1, 2, 3, …, S.
-on prend, pour chaque liste, le nombre de voix pi, et on le divise par le numéro de la colonne 1, 2, 3, 4, 5…, S
-on se retrouve avec N*S valeurs
-On identifie les S premières valeurs
-Si si de ces S valeurs appartiennent à la ligne i de la liste i, alors la liste i reçoit si (s indice i) sièges.

Exemple pour plus de clarté, supposons 7 sièges à répartir, la liste A ayant obtenu 50 voix, la liste B 40, la liste C 30.
On a donc : 50 25 16,67 12,5 …
40 20 13,33 10 …
30 15 10 7,5 …
Les 7 plus grandes valeurs sont 50, 40, 30, 25, 20, 16.67, 15 ; la liste A reçoit donc 3 sièges, les listes B et C, chacune deux sièges.

Mais rangevoting indique (RangeVoting.org - Apportionment and rounding schemes) que l’on peut faire plus simplement, en calculant pour chaque liste i le nombre de sièges si (s indice i) en faisant : si=Ent(pi/Q), où Ent est la fonction partie entière (ex : Ent(3,97)=3), et Q un nombre arbitraire choisi de telle manière que la somme des si (s indice i) vaut S (autrement dit que l’on a bien réparti le bon nombre de sièges).

Or, les différents liens que j’ai consultés semblaient considérer comme allant de soi et d’une telle évidence qu’il n’y avait pas lieu de s’abaisser à démontrer que les deux méthodes donnaient des résultats identiques. Je l’ai donc démontré, si quelqu’un veut s’y amuser, c’est faisable, quoique pas forcément évident (et donc une fois de plus coucher à 1h passée alors que je dois mettre mon réveil à 8h…Pffff).

Bonne soirée

Bonjour,

J’ai continué mon travail!
Alors parmi les méthodes possibles, deux se détachent, car présentées comme étant sans biais. Je m’explique : il est important qu’il n’y ait pas de biais en faveur (ou au détriment) des grosses listes comme des petites listes, sinon cela ne peut qu’inciter à des fusions ou des divisions artificielles.
Les deux principales méthodes présentées comme étant sans biais sont :
-la méthode de Sainte-Lagüe (appelée aussi méthode de Webster)
-la méthode de la proportionnelle au plus fort reste.
Voir : Scrutin proportionnel plurinominal — Wikipédia

L’avantage de la méthode de la proportionnelle au plus fort reste est qu’elle respecte la règle du quota ( Quota rule - Wikipedia [désolé, pas d’article en français!]). L’inconvénient est qu’elle n’est pas monotone, au sens où, en augmentant le nombre de sièges à répartir, une liste peut perdre un siège.
L’avantage de la méthode de Sainte-Lagüe est qu’elle respecte la monotonie, mais en revanche elle ne respecte pas la règle des quotas, cela dit, dans de très rares cas.

J’ai donc simulé un peu plus de 5000 élections, avec 6 partis, 12 sièges à pourvoir, la distribution des voix pour chacun des partis suivant une loi exponentielle de paramètre 1/500.

Conclusion :
-Dans 82% des cas, les distributions sont rigoureusement identiques. Cela laisse néanmoins environ 18% des cas avec une répartition différente, ce qui, compte tenu du nombre de listes (et dans une moindre mesure de sièges à pourvoir) assez modeste, n’est pas si négligeable. Dans l’écrasante majorité, c’est juste un transfert de 1 siège (seulement 4 simulations sur 5000 et quelques donnent un transfert de deux sièges, soit < 0,1%).
Exemple de différence avec transfert de deux sièges :
A 358, B 498, C 162, D 1237, E 167, F 1964.
La méthode proportionnelle donne 1-1-1-3-1-5, la méthode SL donne 1-1-0-4-0-6.
Remarque : il n’y a pas de violation de quota ni de règle de monotonie dans cet exemple
-Pour la méthode de la proportionnelle au plus fort reste, il y a 9% de cas de violation de la règle de la monotonie (autrement dit dans 9% des cas, une liste aurait eu au moins un siège en plus si on avait diminué le nombre de sièges à pourvoir).
Par exemple : A : 139 voix, B : 1375, C : 464, D : 940, E : 0, F : 0 (l’exemple aléatoire sorti avait donné une poignée de voix à E et F, mais sans leur permettre d’obtenir un siège, j’ai donc simplifié en mettant 0). La liste A avec 12 sièges à pourvoir en obtient 0, mais avec 7 sièges à pourvoir, en obtient 1! (Bon c’est un exemple extrême bien sûr)
-Pour la méthode Sainte-Lagüe, elle viole très peu, comme prévu, la règle des quotas : moins de 0,4% des simulations donne pour au moins une liste un nombre de sièges inférieur au lower quota ou supérieur au upper quota.
Exemple :
A : 100, B 657, C 227, D 4247, E 440, F 747 : la liste D devrait obtenir 7,94 sièges ; la règle du quota voudrait donc que la liste D obtienne soit 7 sièges soit 8 sièges ; la méthode proportionnelle donne logiquement 8 sièges, tandis que Sainte-Lagüe donne 9 sièges, soit 1 de plus que l’upper quota de 8.
Bien sûr, l’intégralité de ces 0,4% des cas appartient aux 18% des cas où Sainte-Lagüe donne des résultats différents de la méthode proportionnelle, puisque par construction la méthode proportionnelle respecte systématiquement la règle des quotas.

En fait, le plus étonnant concerne la présence/absence de biais.
On fait la somme des électeurs des deux listes ayant obtenu le plus de voix, on calcule leur nombre de représentants, et on fait le ratio nombre de représentants/nombre d’électeurs pour voir la représentation par personne.
On fait de même avec les trois plus petites listes.
Le travail est fait pour les deux méthodes, et pour chacune d’entre elles, on regarde si ce sont les deux grosses listes qui bénéficient d’un meilleur ratio représentants/électeurs ou si ce sont les trois petites listes.
Or, contrairement à ce que je me serais attendu, j’ai un biais assez prononcé : dans 57% des cas avec la méthode proportionnelle (59% avec la méthode sainte Lagüe), ce sont les électeurs des deux grosses listes qui sont les mieux représentés.
Notons en passant que dans 4% des cas avec la méthode proportionnelle (6% avec sainte Lagüe), les trois petites listes cumulées n’obtiennent aucun élu, et donc forcément dans ces cas sont systématiquement moins bien représentés que les électeurs des grosses listes, puisqu’ils ne sont pas représentés du tout.
Les petites listes, quand ce sont elles qui sont mieux représentées que les grosses listes, représentent en part d’électorat 1 (proportionnelle) ou 2 (Sainte-Lagüe) points de plus que quand elles sont moins bien représentées que les grosses listes (21% contre 19% pour la proportionnelle, 20% contre 18% pour Sainte-Lagüe) ; d’un côté, cela atténue légèrement l’écart (si on calcule un écart pondéré par la partie de population concernée), de l’autre, cela confirme qu’il y a un biais en faveur des listes à plusse grosse partie d’électeurs ; si ce n’était pas le cas, que les petites listes d’électeurs rassemblent 15% ou 25% ne devrait rien changer au fait de savoir si ce sont les petites listes ou les grosses listes qui sont mieux représentées.
Et là, j’avoue , je ne sais pas pourquoi nous avons un tel biais de représentativité alors que les sources indiquent qu’il n’y en a pas. Est-ce parce que la distribution des électeurs est exponentielle et non uniforme? A cause des paramètres sur le choix du nombre de listes et du nombre de sièges? Débat ouvert.

Edit : j’ai repris rapidement le truc en décidant de modifier l’échantillonnage du nombre de voix et en prenant une loi uniforme sur [0;1000].
Certaines proportions changent pas mal :
-les cas de divergence passent de 18% à 13%
-le paradoxe d’Alabama passe de 9% à 8%
-0,1% de violation de quota pour SL
Mais en revanche, j’ai toujours un biais, quoique légèrement atténué. La part des cas où les grandes listes sont mieux représentées baisse de deux points ; à noter que les petites listes représentent à peu près la même part des électeurs quel que soit le type de liste qui représente le mieux ses électeurs, la légère différence de 1 à 2 point a disparu (proportionnelle) ou fortement diminué (SL).
Du coup, le biais n’est pas réglé par une histoire de distribution du nombre de voix.

Bonne soirée

Bonsoir,

Un dernier (?) mot sur le sujet.
La question de savoir si on pouvait avoir une méthode satisfaisant à la fois la règle des quota et la monotonie a été discutée.
Balinski et Young (https://www.pnas.org/content/pnas/71/11/4602.full.pdf) ont indiqué qu’il n’existait qu’une seule méthode, la méthode dite des quotas, vérifiant cumulativement :
-règle des quotas
-monotonie
-un troisième critère qu’ils appellent « consistance ».
Jonathan Stille, dans un article (disponible mais à accès payant ici : https://www.jstor.org/stable/2100846?refreqid=excelsior%3A6e4f003dd76c995342fb46e6de4bd5ae), que j’ai récupéré par un autre moyen, remet en question le troisième critère qu’il estime non pertinent et créée une classe de méthodes itératives permettant de vérifier que la règle des quotas est respectée et qu’il n’y aura jamais aucun problème de monotonie.
Cela dit, le critère de sélection des listes qui peuvent recevoir un siège à chaque étape implique de faire une longue série de calculs pour chacune des listes et est tellement compliquée que j’ai renoncé à la programmer.
Elle a donc surtout un intérêt théorique, d’autant plus que la méthode de Sainte-Lagüe respecte la règle de monotonie et ne viole quasiment jamais la règle des quotas : elle fournit donc un pis-aller tout à fait acceptable.