Retour sur mon dernier mode de scrutin (proportionnel, par listes, et transférable)
J’ai pris bien plus de temps que prévu pour vous répondre @Benoit et @GrothenDitQue, mais je suis très satisfait d’avoir pris le temps de mûrir ces questions à davantage d’occasions, et de développer tous ces points.
Alors, pour le coup ce serait pas vraiment le mandat impératif tel qu’on l’entend le plus souvent au sens de « les électeurs dictent à l’élu qu’il doit faire ceci », je ne sais pas quel nom on donnerait à un cas où un élu ne devrait légalement son siège qu’au choix d’un parti sans repasser par l’électorat.
Pour la non-transférabilité, je le maintiens et c’est l’une des raisons pour lesquelles je propose un changement sur ce sujet.
On a eu récemment un exemple de l’intérêt de ce mécanisme : j’aurais aimé vous mettre la source mais je ne la retrouve plus. La tête de liste du NSC aux législatives anticipées néerlandaises de 2023, Pieter Omtzigt, ex-député dissident du CDA, nouveau parti qu’il avait à peine fondé, avait annoncé qu’il souhaitait que sa liste n’obtienne pas trop de députés élus. Il y a déjà eu par le passé, d’autres partis qui ont obtenu davantage de sièges que ce qu’ils auraient voulu, situation pour laquelle ils n’étaient pas forcément préparés et les empêchant de se pérenniser.
Sans parler du fait que, sachant qu’il existe des seuils de nombre de MPs pour faire certaines actions (par ex pour l’AN française : 15 pour former un groupe parlementaire, 1/10e soit 58 pour saisir le Constitutionnel Constitutionnel, une majorité absolue soit 289 pour adopter une motion de censure), ce qui permettrait de donner un sens à une liste incomplète inférieure à certains seuils.
C’est précisément cette raison d’ailleurs, et c’est précisément la formule que j’ai proposé : si une liste comporte 23 candidats et a droit à 30 sièges, il faut une formule pour savoir à quelles listes doivent revenir les 7 sièges manquants. Donc je propose aux électeurs d’indiquer sur leur bulletin de vote pour quelle(s) liste(s) ils donneraient le reste de leur voix une fois que leur liste premier choix a élu tous ses candidats, mais aussi si elle a été éliminée (cas auquel toutes les listes n’élisant pas tous leurs candidats seront confrontées à un moment ou l’autre des tours de dépouillement, mais ce n’est pas grave).
Concrètement, le bulletin de vote unique (je reste dans le cas sans coche et sans rature) pourrait ressembler à quelque chose comme ci-dessous : il comporterait les noms de toutes les listes en présence avec le nombre de candidats indiqué (et les électeurs auraient bien sûr connaissance de la composition exacte des candidats constituant chaque liste dès le début de la campagne officielle), et en face de chaque ligne l’électeur pourrait indiquer pour chaque liste quel est son premier choix, et éventuellement son second choix, son troisième choix, etc, en poursuivant aussi longtemps qu’il le souhaite.
Je vais vous donner un exemple en me basant sur les résultats des dernières législatives néerlandaises.
NB ici je vais traiter les résultats comme si c’étaient des listes bloquées (et votables dans tout le pays, ce qui n’est pas le cas, quelques-uns des partis qui arrivent derniers ne se sont présentés que dans certaines provinces), ce qui n’est pas le cas aux législatives aux Pays-Bas, qui, comme le montrent cette capture d’écran (source), se déroulent au bulletin unique ET permettent de cocher le candidat de son choix. De plus il est évident qu’avec mon mode de scrutin, les résultats auraient été différents, et de toute façon l’offre électorale aussi aurait été différente.
Contrairement aux législatives néerlandaises, qui sont en scrutin plurinominal proportionnel de liste, sans transférabilité, avec un seuil à = suffrages exprimés / nb de sièges, soit ici 10.432.726 / 150 ≈ 69.550,51,
Le quota que je retiens ici est : = suffrages exprimés / (nb de sièges +1), avec nécessité d’avoir strictement plus que le quota pour être élu.
Dans cet exemple, le quota sera donc : 10.432.726 / 151 ≈ 69.090,901
Si on reprend votre idée des 100 voix, ça nous fera un quota de 69.090,91 voix par élu.
Si on prend 1000 voix, ça nous fera un quota de 69.0909,901 voix par élu.
En se basant sur ces résultats, on ne peut pas aller plus loin dans le dépouillement, faute de transférabilité. Ici 143 des 150 députés seraient élus dès le 1er tour de dépouillement, et correspondraient au 1er choix des électeurs. Cependant il reste 7 sièges à compléter, et c’est à partir de là que les transferts, c’est-à-dire les seconds choix des électeurs vont pouvoir compter. Toute liste indiquée parmi les secondes préférences d’un électeur ne sera pris en compte que si chacune des listes qu’il a mieux classé a déjà été soit éliminée plus tôt dans le dépouillement soit entièrement élue.
Le ratio du nombre de MPs élus dès le 1er tour (c’est-à-dire entièrement en tant que 1er choix) dépendra de la répartition des voix et du nombre de sièges. Ici ils sont presque tous élus au 1er tour (143/150), mais on pourrait s’attendre avec ce mode de scrutin, à ce que les candidats profitent de l’opportunité offerte de constituer autant de listes que voulu politiquement, et à ce que les électeurs votent davantage selon leurs convictions, notamment lorsqu’il y a un grand nombre de sièges en jeu.
Aujourd’hui, même sans seuil artificiel (ce qui n’est pas le cas aux Pays-Bas, il y a un seuil de 1/n, empêchant les petites listes de remporter 1 député au plus fort reste), même avec une méthode du plus fort reste, vous pouvez vous retrouver avec moins d’élus à cause de dispersion des voix.
Imaginez 2 listes A et B données au coude-à-coude vers 0,5 MP, d’orientation proche et dont les électorats les préféreraient à toutes les autres (donc dont la somme des électeurs = 1 MP) ? Sans seuil artificiel, il y aurait 3 possibilités en scrutin plurinominal proportionnel de liste fermée (SPPLF) au plus fort reste :
- on a déjà élu tous les MPs avec les listes avec un reste >0,5 (ou une partie d’entre elles) donc A et B obtiennent chacune 0 MP, soit 0 au total
- il manque encore 2 MPs ou plus, avec les listes avec un reste >0,5 donc A et B obtiennent chacun 1 MP, soit 2 au total
- il ne manque qu’1 MP, avec les listes avec un reste >0,5, donc soit A soit B obtient 1 MP (la liste ayant obtenu le plus de voix), soit 1 au total
Dans chaque cas, A et B a soit gagné 1 MP avec 2x moins de voix qu’il n’en faut, soit n’en n’a gagné aucun, alors qu’il avait la moitié des voix pour en avoir un.
J’utilise ici la transférabilité à la VUT/STV comme méthode de gestion des restes, servant également à gommer les déformations dues à la façon de séparer et regrouper l’électorat dans le SPPLF.
Alors oui, cela impliquera parfois d’éliminer certaines listes, mais la différence est que s’ils ont indiqué une préférence suivante, leurs voix ne seront pas gaspillées. D’autre part, au plus le nombre de sièges est élevé, au moins l’ordre d’élimination dans le dépouillement sera connu d’avance. Littéralement sur l’AN, avec 577 députés c’est 0,17 % le député. Si on peut se faire une idée de l’ordre de grandeur d’une liste, on ne peut pas savoir à l’avance si telle liste va faire 9,7 % ou 9,8 %, et donc à quel point elle sera proche du seuil pour élire un nouveau MP à chaque tour de dépouillement.
Mais cela ne cause aucun problème car ce qui compte in fine c’est le nombre total de MPs élus. En dehors des cas où tous les candidats d’une liste incomplète sont élus, à chaque fois qu’une liste gagnera 1 MP supplémentaire, il y a de grandes chances qu’elle soit l’une des prochaines à être « éliminée » de la course (c’est-à-dire aura terminé de faire élire ses MP) puisqu’elle « perdra » (en fait, aura converti) le quota en nombre de voix.
Dans l’exemple ci-dessus, au 2e tour du dépouillement les listes du VVD, du CDA et de DeBasis sont « éliminées » de la course car la somme de ce qui leur reste de voix (≈1833) est inférieure à ce qui reste à chacune des autres listes (la 4e la plus faible sont les 1914,63 voix qui reste au BBB. Pour le VVD et le CDA, un SPPLF sans seuil leur aurait donné autant de MPs, respectivement 23 et 5. Pour DeBasis, c’est son nombre de voix de 1er choix (0,01 %) qui était trop faible pour avoir 1 MP, mais comme ces 1038 électeurs n’ont gagné aucun MP, le report de leurs voix vers leur 2e choix se fera à 100%, ce qui est le plus juste et ce qui est plus juste qu’avec le SPPLF qui se contente d’ignorer ces voix, qui ne seront pas représentées dans l’assemblée.
Pour faciliter le dépouillement des tours suivants (le dépouillement du premier tour est sensiblement aussi long qu’un SPPLF classique), on peut imaginer que les assesseurs trient les bulletins selon leur 1er choix. Pour le 2e tour de dépouillement, ici on comptera le nombre de 2e choix des électeurs du VVD, le nombre de 2e choix de ceux du CDA, et le nombre de 2e choix de ceux de DeBasis. On divisera le nombre de voix issus d’électeurs du VVD par ce qui leur restait à l’issue du 1er tour, c’est-à-dire 428,07/1589519, même calcul pour ceux du CDA, et on reporte l’intégralité des voix des 1038 électeurs de DeBasis. Dans les tours de dépouillements suivants, cela fera passer le quota pour +1MP à d’autres listes, et quand ce ne sera pas le cas, on éliminera la ou les liste(s) avec le moins de restes au même tour. On comblera ainsi les 7 sièges restants.
L’obligation ou non de classer tout ou partie des candidats n’est pas une condition requise dans le VUT (par exemple ce n’est pas le cas en Irlande), ni d’ailleurs dans le vote préférentiel alternative vote IRV, et dans le système que je propose n’est pas du tout obligatoire, c’est juste au risque de gaspiller leur voix, mais si vraiment ils détestent pareillement tous les autres candidats, alors ça veut dire qu’ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour les listes n qu’ils ne détestaient pas, juste que les autres électeurs ont décidé que eux ils ne favoriseraient pas davantage ces mêmes listes n. A partir d’ici, je vais considérer que par défaut c’est le cas pour tous les cas de VUT/transférabilité que je propose.
Si aucun candidat/liste n’est classé, alors le bulletin de vote est un vote blanc ou un vote nul, et n’entre pas dans le calcul des suffrages exprimés (sans quoi ça aboutirait à proportionnellement autant de sièges vacants, ce qui me semble une dénaturation du vote blanc ou nul).
En revanche, pour ce qui est de méthodes de composition alternatives (tirage au sort, mandats aux mains d’une organisation, etc), je pense que si elles sont acceptées (ce qui n’est pas du tout certain ou acuis), elles devraient clairement être traitées comme autant de listes de candidatures différentes au même titre que n’importe quelle liste et avec les mêmes mécanismes.
J’espère sincèrement que vous comprenez mieux cette proposition désormais.
Petite précision : il y avait aussi le fait qu’il est un vote unique transférable avec des listes. Le vote unique transférable fait partie des modes de scrutins proportionnels. Pour l’aspect « cumulatif » (qui est pour rappel, le fait qu’un électeur puisse répartir sa voix entre plusieurs candidatures/listes), j’ai trouvé une nouvelle solution pour régler ce point, que j’expose en toute dernière partie).